9 bleu ciel 63 noir
Par notre invitée : Élodie Boyer, en attendant de découvrir le livre de Scriptopolis que sa belle maison des Éditions Non Standard prépare avec soin.
Le Havre, 2017.
En 2017, le designer Karel Martens a habillé les cabanes de plage du Havre, historiquement blanches, avec un motif de rayures verticales. Il existe dix couleurs de rayures différentes (rouge, orange, jaune, vert, bleu foncé, violet, bleu clair, rose, gris et noir) et six largeurs de rayure : 9, 27, 45, 63, 81 et 99 cm.
Une association locale d’insertion professionnelle, l’Ahaps, est chargée de peindre une bonne partie des cabanes, selon un plan complet défini par un algorithme (voir le livre Couleurs sur la plage pour en savoir plus). Chaque cabane est unique. La cabane numéro 1 de la rangée 6 (R6/1) doit avoir à gauche une rayure de 9 cm de large en bleu clair et à droite une rayure de 63 cm de large en noir. Les ouvriers les plus lettrés font les tracés, posent le tesa crep et donnent l’indication de couleur, tandis que les autres sont chargés de la peinture. Certains ne savent ni lire ni écrire, certains ne parlent pas le français, les indications de couleur « bleu clair » ou « noir » sont du chinois pour eux. Alors le bleu clair devient bleu foncé et le noir devient gris pâle ou rose. Donc ils repeignent, certains se re-trompent, alors il re-repeignent. Les ouvriers lettrés ne comprennent pas qu’on puisse se tromper, ils sont désemparés, ils ne savant pas comment s’y prendre pour être compris, pour transmettre ce message qui leur parait si simple, ils s’exaspèrent.
Plutôt que d’écrire « bleu ciel » ou « noir », une touche de couleur (même au feutre si c’est plus pratique) aurait été plus parlante, plus universelle, comme si dans ce contexte, la couleur associée au tracé était promue « langue des signes ».