À la merci des cartouches
Par notre invité : Philippe Guerry
Bussière-Badil (Dordogne), mai 2024.
Le décor est planté, il s’agit d’une forêt, et d’un chemin qui la parcourt, et dans cette forêt, d’un arbre, et cloué sur cet arbre, un panneau. Blanc. On n’est pas familier du lieu, on est touriste, urbain, on randonne, on vient prendre son petit bain de nature à l’occasion d’un pont généreux en jours fériés, et on s’amuse d’un panneau blanc perdu dans la forêt. Certes, le contexte forestier, l’emplacement et le format caractéristique du panneau nous permettent de comprendre qu’il y a là à saisir un message de nature cynégétique.
Sans trop d’effort, et à peu de choses près, on pourrait presque reconstituer les occurrences manquantes : la mention « Réserve de chasse » en lettres blanches sur fond rouge car il y a toujours le danger, dans une forêt, d’être pris pour une biche, surmontée d’autres occurrences dans les petits cadres réservés : « A.C.C.A. », en haut à droite, pour Association Communale de Chasse Agréée parce que c’est elle qui est chargée de veiller localement au respect de la réglementation, et dans l’autre cadre, en haut à gauche, le numéro de l’arrêté municipal fixant ladite réglementation, notamment les périodes et les périmètres de chasse.
Mais plus rien n’est lisible, le temps et les couleurs ont passé. Ceux qui ont posé le panneau n’ont plus besoin de le lire, peu leur importe que le message soit écrit en lettres blanches sur fond rouge ou blanches sur fond blanc. Mais nous, pauvre randonneur urbain, usager éphémère de la forêt, tout juste bon à chasser des signes et à tirer des conjectures, le blanc sur fond blanc nous laisse interdit. Tout bien considéré, n’est-ce pas plutôt la chasse qui est interdite ? D’ailleurs, est-ce qu’elle est interdite, ou est-ce qu’elle est réservée ? réservée, ou gardée ? Comment savoir, si ce n’est pas écrit ? ou si c’est écrit mais que ce n’est plus lisible ?
Tout ce qu’on peut lire finalement, c’est que si le temps a lessivé les cartouches, substantif masculin, on peut supposer que la chasse est coutumière et que ceux qui chassent ici savent où et quand chasser. On peut lire aussi que si l’on n’a pas jugé bon, localement, de renouveler le panneau et son message d’alerte, c’est que le tourisme, peut-être, n’a pas encore besoin d’être régulé, ni le touriste d’être prélevé, ce qui laisse l’espoir, tandis que l’on reprend sa promenade, que les cartouches, substantif féminin, ont pour l’heure toutes bien été remisées.