ISSN : 2266-6060

Absent


Par notre invitée : Élodie Boyer

Le Havre, décembre 2024.

Niels a offert le jeu Code Names à sa grand-mère. Il l’avait découvert à JP, l’entreprise dans laquelle il est en alternance, à l’occasion de séances de team building. C’est un jeu qui collectionne les meilleures médailles : Golden geek 2015, Spiel des Jahres 2016. En observant les logos et la flopée de typographies sur la boîte, j’en déduis qu’il est probablement édité par Iello tandis que Vlaada Chvátil a l’air d’être le créateur. Internet le confirme et ajoute : « Vendu à + de 15 millions d’exemplaires à travers le monde, Codenames est un jeu d’association d’idées et de communication, pour 2 à 8 joueurs ». Alors on joue. Le jeu est chouette, on rit, les (grands) enfants se chamaillent, on se froisse, on se dépasse, on a peur d’être nul, on s’esclaffe, on se rabiboche. Tout est bien. À force de voir ces cartes moches dignes d’une banque image bas de gamme, à force de peiner à lire les mots quand on n’est pas du bon côté, à force de regretter les erreurs de correspondance entre la grille carrée et les cartes rectangulaires, à force de souffler devant ces typographies poussives, je demande à mon entourage : ça ne vous gêne pas que ce jeu soit si mal designé ? Personne ne se plaint, et pourtant, je vous assure que mes enfants ont été bien élevés en matière de design graphique. Alors j’explique : si ce jeu était bien designé ce serait facile pour vous de lire, facile de repérer et mémoriser les mots rouges et les mots bleus, c’est à ça que sert mon travail. Puis je me mets à radoter, je convoque les classiques : le Scrabble, le Monopoly, le Mille Bornes, vous ne trouvez pas que ça n’a rien à voir ? Le bon design crée des liens, une mémoire, un attachement, une relation, des souvenirs irremplaçables. Ils répondent ouais ouais peut-être. J’enchaine car ça résonne avec mes réflexions du moment : les enfants, je vous conseille de faire un métier où vous n’aurez pas besoin de justifier votre utilité toute votre vie, un métier dont la nécessité est évidente pour tous. Quand ma maman est repartie avec son jeu, on n’avait plus rien à faire, alors j’ai cherché des feuilles recyclées par mon imprimeur, du papier bleu et du papier rouge un peu épais, teinté dans la masse, du beau papier blanc glacier avec une grille de points (le Conqueror CX22, mon premier papier préféré), et on a redesigné le jeu : on s’est souvenu des mots, on en a inventé d’autres, tout est simple, tout marche bien, aucun superflu, et finalement, mes enfants ont dit : c’est vrai ça marche mieux comme ça mais les cartes sont un peu fines. Normal, il existe un papier spécial pour fabriquer des cartes de jeu. Bonne année.



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