Absurde

Marseille, juin 2020

L’épidémie de Covid-19 a produit des deuils et de la souffrance, et des traces profondes dans nos espaces publics : slogans sanitaires, consignes pratiques, distributeurs de gels, masques de toute sorte sur les visages et les cous, terrasses envahissant les trottoirs et même les rues. Elle a aussi, en France, conduit à la plus longue campagne électorale de l’histoire de la République, avec plus de trois mois entre les deux tours de l’élection municipale. Si la campagne était de fait suspendue, près des bâtiments publics et sur nos places, les panneaux électoraux restaient debout, remplis d’affichages délavées ou déchirés, recouvertes de graffitis ou d’ajouts discrets aux portraits des candidats.
Sur ce terrain presque vierge faute de combattants, des images immaculées apparurent ici et là, et bientôt partout. « Un homme nouveau pour la France », « Maintenant ensemble agissons », « Maintenant reprenons confiance », des slogans en lettres blanches prenant deux tiers de la surface du papier sur fond d’une belle couleur uniforme. En-dessous on retrouve un visage familier, mais bien plus jeune que la dernière fois qu’on l’avait vu. Il ne manque plus que la chanson officielle pour replonger dans l’ambiance de 1981.
Pourquoi réimprimer et diffuser ces images ? Sont-elles d’ailleurs des copies de l’époque ou une reconstruction graphique qui sied à l’oeil des passants de 2020 ? Aucune signature, aucun cadre n’est fourni pour interpréter ce geste absurde, drôle, ironique. Dénonciation des mensonges politiques, nostalgie d’une époque révolue, allusion à l’actualité locale sur les fausses procurations ? Ou simple constat que le monde d’après sera une mauvaise copie de celui d’avant à l’image de ces affiches ?