Achoppement
Dans de nombreuses villes européennes, les affichages qui montrent les portraits des Israéliens assassinés ou pris en otage par le Hamas le 7 octobre ont été arrachés. Ce phénomène, comme d’autres séquences de collages et d’arrachages politiques, témoignent de l’ampleur des émotions lorsqu’il est question d’Israël et de reformulations en actes de l’antisémitisme au 21e siècle. À quelques mètres de ces fragiles écrits, les passants rencontrent d’autres invitations au souvenir individuel et collectif dont ils sont devenus familiers.
Depuis 30 ans, l’artiste allemand, Gunter Demnig, son épouse, professeur d’histoire, et un collectif d’une dizaine de personnes remplacent les pavés des villes où des groupes de population ont été assassinés par les Nazis et leurs alliés par des pavés de laiton doré, formant de tragiques regroupements dorés dans un quartier ou dans une rue : « ICI HABITA / VIRGINIA PIAZZA / née en 1906 / arrêtée le 16 octobre 1943 / déportée / Auschwitz / assassinée ». Ces pierres d’achoppement (Stolpersteine) scellées devant ce qui fut leur dernière demeure font partie des projets contemporains visant à entretenir la mémoire d’actes dont on considère qu’ils sont tant éloignés de l’expérience de vie des générations suivantes qu’ils pourraient être oubliés sinon niés. Mis en présence des récents écrits arrachés, ici dans le ghetto juif de Rome, les Stolpersteine viennent souligner pour les passants, à la fois, le rôle joué par les surfaces et les instruments d’inscription (un matériau résistant que l’on fait reluire en marchant), l’importance de la constitution de registres publics dans la reconnaissance des victimes (bases de données topographiques établies par les villes et complétées par l’épouse historienne), mais aussi les temporalités d’affichage et de restauration de ces inscriptions dans l’espace public (les habitants les entretiennent lorsqu’elles sont recouvertes de peinture et des mécènes financent leur replacement lorsqu’elles sont déterrées).