Alignements
Roissy Charles-de-Gaulle, août 2010.
Certains sociologues se sont intéressés à la manière dont le travail était accompli au jour le jour, insistant notamment sur sa dimension collective. Non pas comme un des résultats de leur analyse (en tant que sociologues ils savaient déjà que tout est collectif), mais comme l’un des mystères qu’ils devaient explorer. Comment diable le travail collectif se met-il en place ? En posant ce type de question, ils travaillaient une question traditionnelle depuis Durkheim. Mais, contrairement à nombre de leurs collègues qui prenaient pour acquise la division du travail, ils ont montré que les statuts, les rôles, les règles n’étaient pas suffisants pour comprendre ce qu’il se passe sur les lieux de travail. Surtout, à leurs yeux, ces choses ne flottent pas dans l’air, ne composent pas une structure invisible. Elles ne sont pas non plus incorporées, stabilisées, à l’intérieur de chaque personne. Au contraire, ils ont montré que l’ordre social, crucial au travail collectif, est perpétuellement négocié. Chaque jour, constamment, les règles sont discutées, les rôles ajustés, c’est le seul moyen pour que les choses se fassent effectivement. Les gens ne savent pas exactement ce qu’ils doivent faire à l’avance, ni comment les autres vont se comporter. Dans ce processus complexe, certaines personnes tiennent une place particulière, qui tâchent d’articuler une partie du travail des autres, donnant forme en situation à la dimension collective du travail, s’efforçant de faire attendre quelqu’un avant que la tâche d’un autre soit terminée, hiérarchisant et alignant les lignes de travail.
Les études de ce type les plus connues se tiennent dans les hôpitaux, où le travail collectif est d’autant plus délicat que l’état des patients est largement imprévisible. Les aéroports sont également de beaux sites pour le travail d’articulation. Et si l’on regarde attentivement non plus seulement les personnes mais aussi les objets et les écrits, on peut y trouver une réponse complémentaire à la question « où se trouve le travail collectif ? ». En plus de la parole et des corps, les espaces de travail exposent en effet des textes, des marques, qui composent autant de repères pour l’articulation. Ils inscrivent des règles et des rôles en quelques lignes et couleurs à même le sol. Ils donnent à voir à l’observateur un peu de la foule hétérogène qui doit se coordonner pour que le travail se fasse. Aux travailleurs, ils apportent simplement à portée de regard un peu d’une stabilité qui sera inévitablement à nouveau discutée, arrangée, négociée, sur place.