Anti-fraudes
Paris, novembre 2017.
L’encart se situe au même emplacement derrière le siège du conducteur, face à une place prioritaire. Il faut cependant s’avancer un peu plus vers l’écriteau pour lire ce qui a été ajouté au règlement du savoir voyager. À cette position de lecture on apprend que le destinataire n’est peut-être pas tout à fait le même, qu’il est probablement moins un collectif de passagers pris à témoin que le passager prioritaire seul sur son siège. À moins qu’un agent de la RATP ne soit visé : personnel d’entretien ou chauffeur vérifiant, entre chaque trajet, que son véhicule ne soit pas dégradé ni qu’aucun objet n’ait été égaré, avant de notifier les éventuelles anomalies au centre de coordination.
Que lit-on sur le document annoté ? À côté de la section « titres de transport et validation », une série de points d’interrogation s’enchâssent à la manière des bulles de bandes dessinées. Le scripteur met en scène la surprise, « chaque client doit être muni d’un titre de transport valable et validé » ; or, s’agace-t-il en usant de majuscules, il n’y a « aucun contrôle » ni « aucune autorité ». Installé à cette place, le scripteur nous informe qu’il occupe un poste d’observation formidable : il voit monter les « fraudeurs » dans l’autobus. L’affichage public du règlement (aux arrêts et dans le bus), les sympathiques campagnes de publicité anti-fraude, conjugués à la présence du chauffeur (immédiatement en face les portes), au rappel du valideur et aux nombreuses caméras ne suffisent pas à encadrer le comportement de certains des voyageurs. Le scripteur s’insurge. D’une part, il en a « marre de payer » pour les autres, d’autre part, il conteste la délégation du contrôle, qu’il qualifie, ulcéré, de « laxisme fasciste ».
Les deleuziens nous diront peut-être qu’il s’agit là, en parfaite situation de surveillance, d’une nostalgie de la discipline. Quoi qu’il en soit, en traçant rageusement ces quelques mots sur le règlement, c’est la stratégie de modernisation des transports en commun qui est publiquement mise en cause : la publicité du droit, l’économie comportementale (que l’on retrouve vraiment partout) et la vidéosurveillance ne remplacent pas avec succès la fonction de contrôleur des transports. Ils ne seraient ni les bons outils, ni les savoirs appropriés pour provoquer l’adhésion aux règles collectives.