Toujours au bord

La Rochelle, juillet 2022.

La balade matinale est paisible : luminosité éclatante, petite brise, arbres fruitiers sur le parcours, air marin, papillons et insectes en tout genre qui frétillent d’un buisson à l’autre, rythme des vagues en contrebas, tout est réuni pour profiter de cet environnement avant l’écrasante chaleur de la journée. Puis planté-là, en bordure de chemin, cette borne qui s’invite brusquement dans le champ de vision, bien qu’elle soit rendue discrète par les herbes hautes aux alentours. Un simple poteau en bois recouvert d’une feuille imprimée suffit pour tout faire basculer. Pas le face-à-face, devenu si commun dans la rencontre avec les inscriptions publiques, avec un “danger” redoublé d’une “entré interdite” en majuscules orange. Mais l’horizon dessiné par la phrase placée au centre : “Risque imminent de chutes et d’effondrements”. Avec celle-ci, la beauté de la falaise, progressivement sculptée au fil des siècles, et la sensibilité à toute la population hétérogène, tant minérale, végétale qu’animale, qui compose son environnement s’assombrissent. Le caractère à la fois banal et bucolique de la petite balade perd toute sa saveur. Les élans de joie de la découverte qui animaient la cadence cèdent désormais le pas à la frayeur d’une chute, engendrée par un glissement de terrain inattendu. L’impression du sol qui se dérobe littéralement sous mes pieds et le spectre de l’effondrement bien plus général à venir, voici l’effet produit par cette simple inscription. Un changement radical de perception qui affecte mon corps dans toutes ses sensations. Me voilà figé, immobile, saisi. Plongé dans un état second, je suis progressivement envahi d’une pensée émue pour toi qui a si bien associé l’analyse systématique des inscriptions au fondement de notre monde à la sensibilité politique optimiste face à la crise climatique contemporaine. Bruno Latour, Scriptopolis te doit tant… repose en paix !