Au fraudeur inconnu
L’invité du vendredi : Louis-Jean Teitelbaum
Entre Paris et Tours, juillet 2011.
L’impunité est invisible. Le voisin de banquette avait pourtant l’air bien ordinaire, rien de ses traits ni de ses gestes n’indiquait sa vraie nature de voyageur sans titre de transport, de fraudeur, de clandestin. Pour éviter qu’une telle méprise se reproduise, un mémorial a été érigé au fraudeur inconnu. On se plairait à imaginer les contrôleurs de la SNCF en poseurs d’affiches, collant chaque soir l’étiquette au-dessus d’un fauteuil contaminé. Mais non, le même message à la même place ou presque dans chaque wagon ressasse sans variance la culpabilité des gens d’hier. Leur culpabilité, et notre complicité, à nous qui nous disions, peut-être, que ça n’était pas si grave, ou en tout cas pas à nous de juger. Le problème, comprend-on à la lecture, n’est pas vraiment la fraude, pas vraiment l’impunité non plus, mais la mentalité des voyageurs, même honnêtes, ceux qui réclament des prises pour leurs ordinateurs, qui pestent quand la SNCF agit, mais qui ne disent rien quand leur voisin de banquette s’enfile vingt millions d’euros.
Trop de fraudeurs, pas assez de contrôleurs. Érigeons un mémorial au fraudeur inconnu, il sera le contrôleur sans salaire, il saura trouver les voyageurs jusque dans les toilettes (où la campagne d’affichage est déclinée), il sera la trace, paternelle et culpabilisante, de tous ces délits impunis que nous laissons faire et qui tuent à petit feu le confort de nos lignes Intercités. Et nos prises de courant.