Aveugle et sourd
Paris. Octobre 2009.
Après avoir ajusté les écouteurs de mon lecteur mp3, je rentre dans la rame de métro. D’autres personnes sont là, debout et assises. Plusieurs d’entre elles ont aussi un casque plus ou moins gros sur la tête. Chacun se fabrique une petite bulle sonore pour accompagner son parcours. Certaines lignes du métro parisien sont assez bruyantes, alors autant se distraire les oreilles avec autre chose que des grincements de métal.
Je constate toutefois que cette ligne sera bientôt parmi les plus modernes du réseau. Une bonne partie des stations est en cours de rénovation : on réaménage les quais pour accueillir le futur matériel roulant entièrement automatisé. Quitte à faire des travaux, on rénove aussi le carrelage et la signalétique. Ce qui change radicalement l’environnement. Les repères habituels ne sont plus disponibles. D’autant moins que ce n’est pas une station, mais cinq ou six qui se trouvent dépourvues de noms sur les quais à la suite les unes des autres.
Lors d’un arrêt, un voyageur au casque bien fixé sur les oreilles se colle à la vitre, puis se dirige rapidement vers une porte, et après avoir fixé le mur en béton, m’interpelle d’un air stressé: “c’est quelle station ici ?”. À ma réponse, il reprend plus calmement sa place. Puis à l’arrêt suivant, il remet ça, demandant autour de lui à quelle station se trouve la rame. Il alterne ainsi les moments de stress et de calme entre les stations.
La disparition des panneaux sur le quai oblige à changer de perspective. Bien qu’une musique énergique emplisse mes oreilles, j’ai perçu que le conducteur de la rame prend en charge l’information voyageur : il annonce au micro le nom de la station à l’approche de chaque station. Rendus aveugles par l’absence provisoire de signalétique, les voyageurs peuvent tout de même s’y retrouver. À condition, bien entendu, de savoir se détacher de l’environnement visuel.