Bouteille à la mer
Marseille, 2009.
Quand le désespoir guette, quand on pense avoir épuisé tout son possible, quand l’impuissance nous gagne, on prend sa plume pour écrire un mot… On a perdu son travail, on ne parvient pas à gérer ce fils à problème, on ne sait plus que faire avec ce propriétaire qui vous harcèle, on n’en peut plus de ce voisinage. On décide d’en finir et de prendre les grands moyens. Prendre des mesures, ses dispositions, comme on dit. Sortir les grands moyens passe par l’écrit. Il faut s’adresser à celui qui détient les pouvoirs de mettre fin au calvaire : celui-là, on ne le croise pas dans la rue, ce n’est ni Monsieur l’instituteur, ni Monsieur le Curé ou Monsieur le Maire. Nos petites écritures, on les destine au puissant, à celui qui tient les manettes : le Député X., le Préfet Untel, et parfois même le Ministre Y.
On ira acheter du papier à lettre, on prendra son plus beau stylo, on se mettra à [la] table. On cherchera la formule adéquate ; si on n’y parvient pas, on se fera aider par une voisine ; on mettra les petits plats dans les grands, on forcera un peu la politesse. On lui dira ce qu’il en est tout en s’excusant de le déranger. Bref, on écrira pour qu’enfin quelqu’un quelque part pense à nous et agisse pour nous.
Cette lettre au Préfet de Marseille à l’automne 1934, conservée aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône est l’un de ces messages mis dans une bouteille et lancé à la mer. Message désespéré d’une mère dont la fille fait les 400 coups, ces quelques lignes mettent noir sur blanc ce que jusqu’à présent elle tenait avec soi comme un poids, une douleur. Cette lettre est à la fois un appel (« Ma fille est partie, je suis inquiète, aidez-moi », un aveu (« Je ne sais plus que faire ») en même temps qu’elle est aussi une libération (« Ouf ! Je l ai dit à quelqu’un ! »). Quand on n’a que l’écrit…