ISSN : 2266-6060

Celles qui restent

Par notre invité, Victor-Manuel Afonso Marques

Bordeaux, octobre 2024.

Elles ne sont pas comme les huguenots et protestants du second XVIe siècle qui sont passés de l’autre côté : elles ne tombent pas, elles restent. Elles en auront craché de l’encre noire. D’abord de façon précise et cadencée, avec la musicalité qu’on leur connaît, rendant un fidèle hommage aux polices académiques et aux textes justifiés ; ensuite de façon plus aléatoire et hésitante, laissant ici et là quelques tâches grasses et phrases non abouties. Elles en auront vu passer des flux de documents : ordres de mission, articles devenus illisibles ou non annotables sur un écran, un chapitre de thèse dont la relecture nécessite une appréhension plus « matérielle » (comprendre : sur papier) pour en déceler les scories, et certainement d’autres productions davantage confidentielles dont elles seules gardent le secret. Elles auront bravement servi le laboratoire, en permettant la circulation d’inscriptions multiples, en constituant une sorte de « dernier kilomètre » dans la logistique académique et administrative.
En fin de vie, et parce qu’il était a priori impossible de les maintenir davantage en état de fonctionnement, il n’était plus possible d’esquiver les intempestifs « bourrages papiers ». Elles subiront en conséquence quelques maltraitances : coups énervés et secousses désespérées. On le sait (ou on pense le savoir) avec ce type d’assistant de la recherche, les manipulations plus qu’énergiques peuvent à l’occasion résoudre un problème technique. L’une d’elles fera de la résistance : seule active, elle sectionnera le bureau en différents îlots ayant pour certains la chance de lui être directement attachés par le réseau local. Pour les autres, exit la possibilité d’imprimer peu importe sa position géographique dans l’officine doctorale.
Comme le montre cette image, leur funeste sort reste en suspens. Cela fait maintenant trois années complètes qu’elles sont là. Le département informatique n’a pas signifié l’importance de les extraire du purgatoire dans lequel elles stagnent. Elles ont, entretemps, eu le droit à une coiffe de choix, dernier reliquat d’une autre époque : un téléphone fixe. Sans constituer une colonne en ruine, elles impriment de leur présence les lieux, sans plus y être pleinement convoquées. Elles restent, simplement, aux côtés des tasses sales.



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