Complément
Manchester, septembre 2019.
Grand amateur de soccer et de bières, le couple était venu des États-Unis comme en pèlerinage. Trois semaines, une tournée presque minutée. À peine un ou deux jours par ville, sauf les plus importantes. Londres bien sûr, et Manchester, où nous nous sommes rencontrés à la terrasse d’un pub, miraculeusement ensoleillée.
Pour préparer ces vacances ils s’étaient renseignés, glanant des informations et des avis sur le Web. Ils avaient ensuite recopié les noms les plus attirants dans un fichier texte. La liste imprimée était rangée dans la poche intérieure du blouson en cuir de l’homme. Il l’a sortie lorsque la discussion est devenue plus animée. Le mancunien qui faisait partie de notre groupe avait commencé à citer ses lieux préférés, incontournables évidemment, il fallait vérifier. La plupart des noms étaient bien là, les recherches étaient sérieuses. Mais la liste a vite changé de rôle. Elle faisait maintenant place commune, où leurs mains se posaient, parcourant les items, chacun donnant lieu à l’expression de nouveaux avis, à l’exposé d’anecdotes, à la formulation de conseils plus personnalisés, le tout sous la forme d’exclamations que la bière faisait enfler au fil de la soirée.
De combien de conversations de ce genre la liste avait-elle déjà était témoin ? Qui aurait pu savoir, en voyant ce simple bout de papier imprimé qu’il avait ce pouvoir ? Et qui peut imaginer tout ce dont il s’est chargé au fil des jours ? Recommandations complémentaires, confidences, éclats de rire, visages d’inconnus devenus amis pour quelques heures, histoires et images d’abord attachées aux noms des lieux imprimés les uns au-dessus des autres, désormais secrètement déposées dans la liste elle-même, grosse d’un monde insoupçonné.