Technologies du consensus
Paris, novembre 2015.
Tout le monde est assis dans la salle de réunion depuis des heures, durant plusieurs jours consécutifs. Les discussions ont été plutôt polies et calmes, d’autres plus animées, voire dures. Les différents avis se sont exprimés, ont été partagés et contestés. Un équilibre difficile a été trouvé entre une diversité de critères, même si certains demeurent partagés implicitement par seulement quelques participants. Pourtant, la multiplicité des jugements n’a pas permis d’atteindre une position commune. Lorsqu’il faut choisir entre une variété d’options, la discussion semble la solution la plus indiquée. Toutefois, quand le temps restant pour prendre une décision est très court, une autre technologie peut être utile: voter.
En dépit des conceptions de l’esprit scientifique, sain et consensuel, un tel recours s’opère parfois en comité de recrutement ou de promotion des chercheurs. Dans cette situation, ni vote à mains levées, ni vote par bulletin papier. La même télécommande, avec un numéro différent, est distribuée à chaque membre dans la salle de réunion. Puis, des options sont attribuées aux différentes touches: par exemple 1 pour oui, 2 pour non, 3 pour abstention. Une seule personne, qui organise le vote et n’y participe pas, est autorisée à lire les résultats sur l’écran d’un ordinateur, et à s’assurer que chaque membre a effectivement voté. Si ce n’est pas le cas, elle rappelle à l’ordre les retardataires par leur numéro de télécommande, à la place de leur nom. Pendant le vote, certains préfèreraient soit contrôler les doigts des autres pour qu’ils appuient sur la touche qu’ils considèrent la bonne, soit pirater le système afin d’agréger un maximum de réponses pour l’option qu’ils ont choisie. Au même moment, à la place d’une télécommande, d’autres préfèreraient tenir une manette d’un jeu dans lequel ils pourraient donner des coups de poings dans le visage de certains membres. Expression du jugement individuel en secret, respect de l’anonymat, projection d’émotions contrastées, processus de décision, voici ce que peut faire un simple boitier de commande en plastique.