Correction
Paris, juin 2021
Le livre s’appelle « Les trois écritures »: sous-titré « langue, nombre, code », il déploie une sémiologie raffinée tout en parcourant cinq mille ans de pratiques scripturales variées. Somme de plus de 500 pages pour son autrice, publiée dans une collection prestigieuse, elle constituerait une contribution faite pour durer, intangible car produite dans le monde combiné du papier et de la langue. Mais l’autrice n’avait pas prévu que l’éditeur produirait des coquilles sur sa présentation même, en quatrième de couverture.
Elle a donc dû se résoudre à entrer à nouveau dans le monde de l’écrit inconstant. Elle a rédigé, imprimé, découpé cette notice de correction, attachée à l’ouvrage prestigieux par deux morceaux de scotch ordinaire, son nom assurant la validité du collage correctif.
Combien d’exemplaires du tirage original possèdent ce même codicille ? A-t-elle reçu le concours de l’éditeur ou lui a-t-il fallu bricoler dans son coin contre la puissante maison parisienne ? Elle avait en tout cas bien prévu la caractéristique centrale de l’écriture informatique, son caractère simulé qui permet sans cesser de réécrire, simuler, retoucher, annoter, corriger. Aujourd’hui, presque 15 ans plus tard, quand on cherche son livre chez l’éditeur et, de manière plus visible, sur la plateforme la plus célèbre et la plus critiquée, on peut accéder à l’image de la
quatrième. Plus de papier ajouté, plus de scotch pour le tenir, mais on y aperçoit un texte vert et lisse qui indique précisément qu’elle est « chercheur au CNRS » et reprend le véritable intitulé du laboratoire (en minuscules). Simulacre informatique conforme à la théorie, il procède de la correction si parfaite que toute trace de l’état précédent du texte a cessé d’exister.