Courant
Longueil, mars 2009.
Depuis quelques jours, tu cours sans t’arrêter. Tu ne te sens plus maître de rien. À vrai dire, tu te demandes même si c’est bien toi qui cours. Ce serait sans doute plus juste de dire que tu es couru, ou quelque chose comme ça. Tu regrettes la faible portée du gérondif dans la langue française. Une forme verbale qui n’attribue l’action à rien ni personne, qui dit les choses en train de se faire. Tu te souviens d’une belle conférence d’Anni Borzeix à ce sujet. Disons que tu es courant, donc. Les choses à faire défilent sous tes yeux, sous tes mains, et tu t’en charges autant qu’elles se chargent de toi. Dans tes rêves, même, tu ne cesses de travailler, de préparer ce qu’il faudra faire demain, de réparer ce qui a été mal fait hier.
Cet état, qui n’est pas sans t’apporter un plaisir diffus, te fait penser, tu ne sais pas trop comment, à cet étrange panneau que l’on trouve au Québec, et que tous les français qui l’ont rencontré ont certainement, comme toi, pris en photo. Le petit scandale, le malaise (et finalement le sourire) que sa vue procure, tu les avais d’abord rabattus sur le décalage si précieux entre les vocabulaires français et québécois. Charmant, mais pas de quoi en faire un fromage, encore moins un article de Scriptopolis. Jusqu’à ce que tu sois toi-même confronté à cette tyranique interdiction de flâner et que tu te surprennes à chercher le panneau des yeux dans ton bureau, dans les couloirs des lieux où tu enseignes, et même dans ton salon.