Cri du chœur
Par notre invité Victor Potier
Toulouse, 14 février 2024.
L’édifice est un dinosaure dans un paysage de modernité. Cette barre fut la première de ce quartier populaire où la pression urbaine fait aujourd’hui pousser des dizaines d’immeubles neufs. Située en bordure de champs sur les photos d’archive des années 1970, son allure massive de paquebot tranche désormais brutalement avec les propositions architecturales modernistes des promoteurs immobiliers. Mais depuis quelques semaines, le dysfonctionnement de sa porte contraint les familles à se détourner avec leurs courses au travers de trous aménagés dans le grillage adjacent. La persistance de cette panne est d’autant plus frustrante que la porte donne sur les travaux de construction du quartier, et son flux incessant d’ouvriers et d’outils qui exécutent à deux pas de là tous les gestes susceptibles de la réparer. Comment ne pas avoir envie d’attirer l’attention ?
Le graffiti fait alors l’effet d’une bombe (de peinture) : le ton est impérieux, et sa couleur orange fluo rappelle les traces cryptiques que l’on trouve sur les trottoirs et les quais. Ce message s’adresse aux réparateurs initiés. La peinture pénètre la porte pour lui donner du corps et en faire un porte-voix. Son usure devient visible sans devoir y porter trop d’attention. On veut faire gagner du temps aux réparateurs, pour en faire une priorité. D’objet inerte constitutif de la toile de fond urbaine, la porte devient une chose qui exprime l’impatience. Avec force, mais sans violence. Car son cri est aussi ponctué d’un cœur. Est-ce qu’alors cette trace exprime la critique d’une politique de mixité sociale qui montre ses limites ? Des trop longs délais d’intervention du bailleur ? Du manque d’efficacité de la société de réparateurs ? Peut-être, mais ce cri du chœur des habitants traduit aussi une demande d’amour et de soin. « Nous aimons notre porte, nous aimons notre immeuble, aidez-nous l’inscrire encore dans le temps. »