Des choses aux mots
L’invité du vendredi : andrea mubi brighenti
Je m’intéresse depuis un certain temps déjà à ce type de mobilier urbain qui m’a l’air typiquement parisien (dans le sens que je n’en ai jamais vu ailleurs). Mais étonnamment, les parisiens — du moins ceux à qui j’ai demandé (…peut-être de manière trop insistante ?) — ne semblent pas avoir de nom particulier pour le désigner. À vrai dire, dans la majeure partie des cas, ils ne semblent même pas conscient de l’existence de cet élément spécifique du décor urbain… Si intégré à leur paysage qu’il devient invisible ? …Infraordinaire ?
Quoi qu’il en soit, même une recherche en ligne n’a pas suffit à résoudre le mystère. Alors qu’il semble exister de nombreux noms précis pour d’autres mobiliers extérieurs ou éléments de décor urbain reconnus à Paris — les entrées du métro Guimard, les fontaines Wallace, les colonnes Morris et, plus récemment, les « abribus » et les stations Vélib’ de JC Decaux — cette espèce de tonnelle verte (treille, pergola…? Cela ressemble à un support pour les plantes qui en sont pourtant généralement absentes) installée de manière décorative sur les murs latéraux des bâtiments reste mystérieusement sans nom. À moins qu’il existe quelque part toute une histoire que mon ignorance m’empêche de connaître ?
Ce qui est le plus intriguant est sans doute le fait que la forme même de ce mobilier semble sur le point de prononcer son propre nom. En fait, parce qu’il est immédiatement reconnaissable, ce treillis vert, fait de lignes convergentes et ordonnées qui imitent la perspective d’un jardin, ressemble presque à de l’écrit, à une signature… Pas tout à fait cependant, et c’est bien frustrant. On nous dit que la ville numérique nous donne de plus en plus de moyens pour tracer des informations de toutes sortes sur les objets et les flux. Mais, nous n’avons véritablement ce pouvoir que sur des objets et des flux qui ont déjà été codés et codifiés. Qu’en est-il des objets, anonymes, éparpillés, silencieux, insaisissables ? Sommes-nous à l’âge où la relation entre les mots et les choses est enfin réglée, ou à l’âge où, au contraire, elle va être radicalement ré-ouverte ?