Détourné

Paris, octobre 2023.

Les petites annonces professionnelles constituent un monde à part, avec ses règles langagières, ses évidences, ses sous-entendus, jusqu’aux abréviations que seules les habituées parviennent à décrypter. Un monde qui n’a cessé de se déplacer. Le Web, tout particulièrement, a bouleversé la forme et les espaces de ces instruments essentiels à la fluidité du marché du travail. On peut être tenté de raconter ces déplacements comme un progrès linéaire et inévitable, avec le « numérique », hydre mystérieuse et omnipotente de la modernité tardive, comme grand moteur de l’évolution. Mais il faut bien avouer que certains mouvements ne cadrent pas tout à fait avec ce genre de récit. Qui aurait pu imaginer que l’écran un peu rétro dédié à renseigner les voyageuses et les voyageurs du bus 59 deviendrait un jour un moyen de diffusion de ce type d’annonce ? « On recrute des conducteurs », peut on déchiffrer à la suite du nom de la destination et de celui du prochain arrêt. Comme si le choc de la « crise des vocations » et de la « grande démission » avait fait sauter toutes les barrières, et surtout toutes les règles de l’information voyageur. Il est vrai que le même choc a amené, ailleurs, à ce qu’à côté des menus et autres cartes des boissons soient affichés à la hâte les mêmes « on recrute » par centaines.
Cette extension du domaine de l’annonce suffira-t-elle à inciter les uns et les autres à changer de place, et s’imaginer conducteur ou conductrice ? Aux regards qui ont glissé aussi vite sur ces mots pixellisés que sur le visage du chauffeur ce soir-là, on peut en douter.