Distribution

Paris, septembre 2020.

C’est une vieille histoire. La morale n’est pas seulement une affaire de séparation entre le bien et le mal, le juste et l’injuste. Elle implique aussi que soient distribuées les tâches et les responsabilités. L’enjeu n’est pas tant de désigner des coupables qui auraient mal agi (c’est l’affaire du droit), mais de répondre à la question « Et maintenant, qui fait quoi ? »
Pour ce qui est des dérèglements climatiques et de la protection de l’environnement, beaucoup pensent que la réponse à la première partie de l’interrogation est on ne peut plus simple : tout le monde doit changer ses pratiques, chacun doit s’évertuer à son échelle à prendre soin du monde. L’évidence est si grande que le revendication d’une action qui va dans ce sens est devenue un argument publicitaire. Notre voiture n’émet pas de particules fines. Notre pâte à tartiner ne participe pas au déboisement de l’Amazonie.
C’est à ce genre de promotion que j’ai cru avoir affaire en découvrant l’étiquette de ce jean tout neuf : « WATER < LESS ». Tiens, cette grande marque montre qu’elle fait des efforts, ce qui n’est pas du luxe si l’on pense à la pollution générée par l’industrie textile, et à l’ampleur de sa consommation d’eau. Mais, comme dans un contrat d’assurance, il m’a fallu lire les petits caractères pour comprendre qu’il s’agissait moins là d’une promotion que d’une injonction. Le water less m’est en fait adressé. Soyez responsables, lavez moins votre jean, ne le passez pas au sèche linge, ne le jetez pas. Business as usual, donc. On explique depuis des décennies à l’ouvrier que c’est à lui de faire attention aux machines qui pourraient le blesser, au piéton qu’il doit faire attention aux voitures qui circulent dans les rues. C’est au consommateur désormais de faire sa part du boulot. Comme un aveu d’impuissance du côté de l’industriel en question, qui omet toutefois de mentionner une autre action possible, qui rendrait toutes celles listées sur l’étiquette imposante inutiles : n’achetez pas.