Écrire l’équipe
Dans les laboratoires de recherche comme dans d’autres organisations, les inscriptions des salles de convivialité sont des sites privilégiés d’observation des liens sociaux. On y aperçoit la commensalité et ses contraintes, les tracts et les autres documents d’information professionnelle, les traces de collaboration et les modalités de relâchement (comme dessiner des Pokémons) ; grâce à quoi l’on peut capter certains signes sur la vigueur de la vie collective.
Dans cet immense laboratoire d’informatique, les salles attribuées à chaque équipe pourraient ne pas sembler conviviales du fait d’une architecture qui éparpille les bureaux et privent les lieux de rassemblement de fenêtres. Pourtant, ces chercheurs spécialistes des réseaux complexes réservent une partie du tableau blanc, situé près de la machine à café et habituellement dédié aux discussions entre collègues, à la mise à jour d’un fil d’information sur l’équipe : l’un, désigné par son prénom a soumis son article à telle conférence, l’autre vient de partir en délégation CNRS, untel entre au conseil d’administration d’une société savante. En informatique comme ailleurs, il existe certes des listes de diffusion, des sites web et des réseaux sociaux, qui permettent aux chercheur·euse·s et à leurs administrations de communiquer, mais l’inscription, au-dessus des tasses de café fumantes, que telle doctorante a soumis son premier article à une conférence témoigne d’un souci de rendre localement l’équipe présente « aux marges de la conscience » des collègues — pour reprendre l’expression du phénoménologue Aron Gurvitsch qui nourrit de nouvelles approches ethnographiques. Ces fragiles inscriptions au feutre permettent alors à chacun de la féliciter, de lui transmettre des ficelles, et rendent manifeste un attachement entre les chercheurs, le contenu de leurs travaux et les institutions qui organisent la vie scientifique.