Ecrits rêvés
Paris, mars 2011.
Il n’y a pas seulement un Paris capitale du XIXe siècle avec ses passages, ou un Paris invisible avec ses couches d’inscription, il y a un Paris rêvé. Une ville au futur antérieur. C’est la cité conservée dans les cartons d’archives des services des permis en tout genre ; celle qui n’a pas vu le jour parce que non conforme aux règlements en vigueur : des milliers d’immeubles et de maisons dont le permis de construire a été refusé. Une ville restée au stade du papier. Des plans et des schémas, des croquis et des mesures.
Les archives de cette ville écrite comprennent aussi des cartons renfermant une écriture potentielle de la cité : l’ensemble des projets d’enseignes refusés par le service de la voierie. Ici, un gérant d’un striptease aurait voulu placer sur sa façade en lettre rose « Filles nues » ; là, le patron d’une supérette aurait souhaité ajouter une caisson lumineux clignotant pour attirer le regard des passants… Ils ont d’abord dessiné gauchement leur envie d’écriture, puis se sont adressés à des professionnels ; l’artisan en affichage a dessiné au mieux, et selon la technique du dessin industriel, ces écritures exposées. Avec soin, il a porté les cotes, fait apparaître les points d’accroches, le système électrique.
Mais, la rue du cabaret était dans un périmètre patrimonialisé où l’affichage était restreint, et le projet de l’épicier non conforme aux règles de sécurité. Ces dessins d’écrits sont restés dans les cartons, précieuse source pour une histoire de l’écriture. La devanture du Prisunic dans une rue du 9e arrondissement n’a pas connu ce triste destin, le plan a été réalisé, les huit lettres de PRISUNIC se sont éclairées à partir du milieu des années 1970 sur ce quartier central, marquant l’identité de la ville française durablement. Et puis le temps a passé, le magasin a été racheté, la marque a disparu, les caissons de lumière décrochés, ne reste plus que ce document à l’encre rouge qui clignotte dans nos mémoires urbaines.