Entités, épisode 3. Multiple
Paris, décembre 2009.
Les espaces publics sont bien souvent rendus accessibles et circulables à l’aide de petits objets graphiques qui les organisent : une pancarte ici, un marquage au sol là. Un tel ordonnancement définit de manière assez rigoureuse les voies de circulation, les lieux possibles de stationnement durable ou temporaire, et les emplacements réservés. Il oriente également l’ensemble des déplacements en produisant une répartition fine des différentes entités selon les lieux.
Tout le monde n’est pas admis partout en même temps. C’est une évidence pour les habitants des espaces urbains. C’est aussi un poncif pour les spécialistes des études urbaines qui ont largement insisté sur les capacités des humains à s’approprier des sites. Une population, un territoire. Un même site, des groupes très différents selon les moments d’une journée. Un même environnement, des expériences communes. Une même place, diverses émotions et souvenirs. Cette pluralité de perspectives est indéniable. Elle suppose pourtant que la place, elle, reste identique et inerte d’une forme d’appropriation à l’autre.
Or les places sont elles aussi dynamiques. Les couches de peinture montrent bien ici que cette “même” place n’est pas réservée aux mêmes entités. Destiné aux véhicules de livraison, cet emplacement est simultanément un site attribué aux personnes handicapées. Le passage d’une couleur à l’autre dérange l’ordonnancement des places. La multiplicité graphique et matérielle ouvre des possibles habituellement inexplorés. Elle redéfinit le jeu des attributions potentielles et repousse d’autant la limite des effets de seuil. Au point que cet automobiliste, ni livreur, ni handicapé, compte bien faire valoir l’incertitude pour justifier la présence de son véhicule sur cet emplacement.