Merci Fernand
Issy-les-Moulineaux, décembre 2009.
Comme il est difficile aujourd’hui de tenir une position constante sur l’état du monde, d’arrêter un diagnostic clair quant à la marche qu’il semble prendre. Tu aimerais tant garder le registre confortable de la critique. Et quoi de plus critiquable que les dégâts produits par la traçabilité exacerbée dans le monde du travail ? Partout, l’obsession de remonter la trace de défauts potentiels, la nécessité de signer et d’engager sa responsabilité. Identifier l’intervention faite sur le produit du travail pour fabriquer des preuves a priori, faciliter les procès à venir, ceux qui ne sont pas là mais que l’on suspend par ces traces au-dessus de la tête des travailleurs. Ce monde-là, tu voudrais montrer qu’il est dangereux, qu’il fait souffrir. Tu voudrais en dire la folie. Sauf que toujours tu oscilles. Tu veux dire cela, mais tu veux aussi dire qu’à chaque fois que tu entres dans cet ascenseur, tu esquisses un sourire. Tu prends plaisir à voir inscrit ce prénom, Fernand, recopié mois après mois, souligné d’une date jamais très lointaine. Tu ne l’as jamais vu Fernand, mais tu sais qu’il est un peu là, qu’il t’accompagne à chaque fois jusqu’au sixième étage, comme un ange gardien.