Nulle part
N12, avril 2010.
Tiens, encore des panneaux muets. Non pas retournés ceux-ci, mais simplement silencieux. Ou aveugles, si on veut. Mais ce peut-il vraiment que cette portion de route nationale soit l’objet d’une intervention artistique, comme les panneaux exposés de la dernière fois ? Sans doute pas. Il semble plutôt que l’on se trouve dans une de ces situations d’agraphie qui nous vaut quelques petites angoisses dans le métro, voire de belles inquiétudes au bureau.
On roule, engagé sur la voie centrale. Et on n’a pas le petit écran qui se propage dans les habitacles des voitures de nos contemporains et qui reproduit la route en collant les flèches à même la carte. On ne sait donc pas où l’on va. En fait si on sait, on la connaît bien cette route. On se demande plutôt où l’on est, ce que c’est exactement que l’on traverse. Si le lieu est transformé par les panneaux, qu’est-ce qu’en fait leur masquage ?
Les mots nous manquent. Marc Augé a bien inventé la notion de « non-lieux », mais c’était précisément pour parler des sites comme l’autoroute ou les aéroports. Des espaces qui n’existent que par les écrits affichés qui les rendent intelligibles. Mais ici, c’est le dispositif même de négation du lieu qui a été effacé. Alors quoi ? Alors rien. On regarde autour de soi, on trouve d’autres repères. On voit surtout qu’on n’est pas seul à traverser cet espace, ni peut-être cet état. Et on se dit, décidément, que les non-lieux ça n’existe pas.