Trois par trois
Orglandes, Manche, février 2010.
Dans ce coin de Basse-Normandie, on ne peut l’oublier. À peine descendu du train, ils vous en parleront et puis vous ne pourrez pas ne pas voir ; d’abord il y a les noms sur les panneaux Caretan, Sainte-Mère-Église, plus loin le long de la route, d’autres panneaux, ceux-là mémoriaux Omaha Beach, Utah Beach, et puis au détour d’un marais, un cimetière. Il y en a 26 de ces cimetières militaires : les plus nombreux sont britanniques, 16 au total, les américains et les canadiens en ont deux seulement, chacun moins que les allemands (4).
À Orglandes, quand on descend de voiture, le lieu est désert, il n’y a pas de drapeau, mais les écrits sur les murs de l’entrée sont en allemand, la typographie utilisée pour le plan du lieu est en style néo-gothique comme pour délimiter dans ce petit coin de pays un petit bout de passé. Il n’en a pas d’abord été ainsi puisque le lieu après-guerre fut dans un premier temps un cimetière provisoire américain, avant qu’entre 1956 et 1961 on y aménage la sépulture de plus de 10 000 soldats allemands.
Ici les tombes ne sont pas ornées d’une croix blanche comme chez les alliés le plus souvent, mais d’une stèle grise formant à peine une croix.
On marche dans cette grande étendue d’herbe arborée, on s’avance à travers ces centaines de petits monuments identiques portant une inscription à chaque fois différente : trois noms de soldats allemands morts. Leurs noms, les dates de naissance et de mort ont été sobrement inscrits à la peinture blanche. Sur cette pierre, on les a unis à jamais. Sans doute ils ne se connaissaient pas. Sans doute ils n’avaient-ils pas les mêmes opinions mais on a décidé plus de dix ans après le D-Day que leur ultime trace serait là, dans ce coin de champ normand. Leurs noms listés sur ces monuments écrivent ensemble un récit, un récit à jamais inscrit en petites lettres blanches qui leur échappe.