Un monde parfait
Paris. Août 2009.
Il y a beaucoup à dire sur ce miracle qu’est l’ordre. Ou plutôt l’effet d’ordre. L’ordre comme résultat temporaire d’un travail toujours à refaire. C’est ce que l’on dit aux étudiants de sociologie : il n’y a pas de structures, il n’y a pas de choses impalpables dans l’air qui nous pousseraient à agir dans le sens de la marche collective. Si nous ne nous rentrons pas les uns dans les autres dans une rue bondée, c’est que nous procédons par micro ajustements. De même que d’innombrables panneaux sont mis à notre disposition (on les connaît bien ici) pour nous rappeler à l’ordre. Il y a bien sûr des lieux et des moments de rapports de force, où l’ordre est imposé d’en haut (c’est-à-dire d’ailleurs), mais toujours avec des choses et des mots. Tout cela est incarné. Et tout cela est difficile. La contrainte par la seule autorité est une chose délicate à mettre en œuvre.
À l’heure du participatif, où tout est 2.0, on voit surgir des petits dispositifs qui innovent dans le domaine, déplacent les rapports de force et finissent par faire un drôle de mélange. Quoi de plus efficace en effet que de se reposer partout, à tout un instant, sur la vigilance de tous ? Attentifs ensemble, nous le sommes quotidiennement. Nous vivons au croisement de l’attention que nous portons aux autres et de celle qu’ils nous portent. Il suffit d’un tout petit instrument, ici d’un écrit qui parle dans le dos, pour que cette attention soit canalisée. Qu’elle soit mise au service d’un maintien partagé de l’ordre, sous la simple forme de la menace. De l’éventualité. Comment discipliner autrement ces fous dangereux que sont les livreurs de sushis ? Excitons un peu les tendances à la surveillance ordinaire. Dotons les d’un instrument de démultiplication (un central téléphonique). Et le tour est joué. On ne sait pas s’il y a un ou plusieurs dupes dans ce marché : les conducteurs de scooters à qui l’on fait croire que les personnes vont téléphoner, les citadins zélés à qui l’on fait croire que l’on tiendra compte de leurs appels. Mais peu importe. Ce qui compte c’est ce que tout cela soit possible. Et que les doux plaisirs de la délation puissent s’installer durablement dans nos habitudes.