Entrepreneurs de morale
Issy-Les-Moulineaux, septembre 2010.
Ça fait déjà plusieurs mois que ça arrive. Au début, les roues de certaines voitures servaient de cible : un trait blanc sur le pneu et le goudron signifiait que le véhicule n’avait pas bougé depuis un certain temps déjà. Trop longtemps à ses yeux. Les habitants retrouvaient régulièrement le parking avec un peu plus de traces au sol que d’habitude. Puis, les inscriptions sont devenues plus précises : une feuille imprimée, scotchée sur chaque voiture concernée, faisait état de son immobilité depuis plus d’une semaine. Et pour donner davantage de poids à cet acte, l’inscription était suivie de la signature du syndicat de propriétaires. Étonnement des habitants, et surprise des membres du syndicat. Tout récemment, le ton est devenu plus explicite encore : une même voiture s’est retrouvée criblée de feuilles avec l’inscription “occupation abusive”.
Peu importe qui en est l’auteur. Il ou elle, seul ou en groupe, ce qui compte, c’est de faire valoir un principe d’équité. Puisque les places de parking ne sont pas attribuées, tous les habitants ont le même droit d’en profiter. Pour la plupart, une gestion tacite des places suffit. Mais pour d’autres, l’occupation de l’espace passe par une vigilance particulière. La rotation régulière des véhicules est hissée au rang de bien pour la “collectivité”, le temps d’occupation est instauré en indicateur (“une semaine, deux semaines, plus d’un mois”), et l’écrit affiché sert de rappel à l’ordre économique et moral.