Fin et suite
Notre invité : Jean-François Magre
Créer son entreprise porte les espoirs d’une belle histoire, forcément déçus lorsque les difficultés surviennent et s’accumulent au point de contraindre finalement à fermer boutique. La liquidation prendra plusieurs mois mais le client trouvera du jour au lendemain porte close. Parfois, un petit mot l’informera, sa rédaction pourra donner lieu à quelques variations, du laconique à l’imagé. Ici, la formulation peut interpeller. Comment une histoire peut-elle rester belle malgré une fin malheureuse ? Et pourquoi faire passer ce message ? On peut douter du caractère positif de cette adresse sachant que les derniers mois furent certainement très tendus pour le gérant (et l’équipe s’il y en a une) avant d’être acculé à voir mourir un projet qui a quand même dû occuper une ou plusieurs années de sa vie. Peut-être faut-il y voir seulement la volonté de finir sur une note optimiste pour ne retenir que le meilleur de cette aventure et y associer les clients qui l’ont partagée. Mais peut-être y a-t-il aussi dans cette façon d’inscrire ce moment dans une narration, un dispositif dépassant la situation en elle-même, une façon de mettre à distance l’échec en le ramenant à une simple péripétie dont on aura été un protagoniste, ou même juste celui qui tire le rideau à la fin, et non le scénariste, prêt à passer à une autre (belle) histoire comme un comédien change de rôle. Ou bien est-ce le signe d’un phénomène plus vaste, l’insinuation du storytelling qui transmue l’expression en communication et l’affirmation de l’entreprise comme (seule) productrice d’histoire, donc de sens. N’y aurait-il de salut qu’en réglant nos pas sur la timeline libérale où il est aussi naturel d’enchaîner projet, création, liquidation puis recréation ? Sans fin ?