Ambiguïté
Par notre invité, Christophe Prieur.
Paris, septembre 2020.
Quelque chose a changé, mais quoi ? La signalétique pour les vélos — c’est vrai que la précédente était ambiguë —, mais il y a autre chose encore. Il faut un moment pour rassembler les pièces du puzzle : les grosses flèches, les lettres velo et livraisons qui ont changé d’orientation… Le sens de circulation a été inversé !
Une fois partis les imprimeurs de la voirie, toute la journée c’est l’émoi, sur la chaussée comme sur les trottoirs. On observe, on commente, certains s’enthousiasment. « Ça fait des mois que le conseil de quartier le réclame … dévier le trafic sur la rue V, beaucoup plus adaptée … passage piétons … dangereux … square … enfants … shunter le feu rouge … et depuis qu’il y a Waze c’est invivable … écrivez un mail à l’adjoint au maire pour lui dire que c’est une bonne chose, pour pas qu’ils reviennent en arrière… »
Mais surtout, le tronçon de 50 mètres à peine est tellement sur tous les trajets, dans toutes les routines, que les quelques indices visuels ne suffisent pas à rendre effectif le changement, et surtout pas les deux panneaux sens interdit placés là comme s’ils y avaient toujours été. Inattention, incrédulité, paresse, mimétisme, au fil des passages au feu vert de l’autre côté du carrefour, un flux conséquent de véhicules s’entête à maintenir le statu quo en s’engageant dans la rue. D’ailleurs, vingt-quatre heures plus tard, Google maps n’aura pas encore répercuté l’information (Waze, lui, dans le doute, affichera la rue barrée). Alors on s’invective, on fait des grands signes, certain·e·s riverain·e·s zélé·e·s se mettent en tête de faire la police. En vain. Dans leur colère impuissante, qu’observent amusés ou préoccupées les curieuses et curieux aux fenêtres, on devine une angoisse, sans doute un peu irrationnelle : et si ce changement obtenu de haute lutte n’était finalement jamais appliqué, quand bien même il a été entériné et matérialisé par le code de la route ?