ISSN : 2266-6060

Au banc d’essai


Paris, juin 2022.



Une première cloche est visible dès le hall. Elle pique d’entrée la curiosité du visiteur, dont l’œil est devenu familier des terrariums, à la mode ces dernières années. En parcourant les étages et en poussant les portes des salles de réunion, on en trouve d’autres, 19 précisément, réparties dans tout le bâtiment. Non contentes de mettre en évidence leur contenu derrière leur paroi vitrée, elles sont exposées au regard, directement sur les tables. Le design indique que l’objet se veut transparent, mais il n’est pas intelligible pour autant. Lorsque l’on interroge celles et surtout ceux qui occupent les lieux sur ce curieux objet, ils expliquent qu’il s’agit de capteurs, mais ne savent pas ce qui est capté, à quelle fin, par qui, et ne semblent pas trop s’en préoccuper.
En cherchant bien dans les salles, on finit par trouver ces petits panneaux, format A6, encadrés comme s’il s’agissait de photos. Dans une police de caractère inférieure à 10, le panneau informe, sur un ton sympathique, à la première personne, que les cloches hébergent une expérimentation du nom d’Open Testbed’s Network. On apprend alors que ce réseau de capteurs connectés, sous cloche, en référence au Grand K (le prototype du kilogramme conservé par le Bureau international des poids et mesures et pas un terrarium), fait de ce bâtiment un « bâtiment intelligent », qu’étudie « l’équipe Eva ». Il est relié à deux autres zones de test : une marina et une champ de pêchers.
Le QR code sur fond gris n’est pas lisible par mon téléphone, il n’est donc pas aisé d’en apprendre davantage sur ce surprenant dispositif, mais l’on comprend un peu mieux pourquoi son appréhension par les occupants s’avère limitée. Ce panneau est bien la seule énonciation qui indique que nous sommes pris dans une expérimentation — expérimentation (comme d’autres, décidément légères) dont l’objet, les hypothèses, les instruments, la finalité et l’identité des expérimentateurs s’avèrent flous, sinon opaques, malgré les atours de transparence dont elle se pare. Outre le paradoxe consistant à mener de telles expérimentations dans des zones à régimes restrictifs où les travaux de recherche sont protégés contre les tentatives d’intrusion, le panneau rappelle que les chercheurs sont eux-mêmes, souvent, de dociles sujets expérimentaux.



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