Confidentiel
Paris, mars 2014.
Le contrôle de la circulation de l’information est essentiel dans les relations humaines depuis bien longtemps. La confiance mutuelle est un moyen de garder un secret, qu’il soit au cœur d’une histoire familiale, d’un processus industriel, ou d’une stratégie politique. Et différentes technologies d’écriture ont été largement utilisées pour protéger les informations de lecteurs inattendus ou mal intentionnés. Les messages codés supposent que le lecteur connaisse la clef de déchiffrement ; les encres invisibles peuvent être rendues visibles seulement si on applique la bonne méthode pour révéler l’information ; les lettres cachetées, un principe légal fondamental, ont été utilisées pour garantir qu’elles ne seraient pas ouvertes durant leur transport et que leur contenu resterait lettre morte. Chaque technologie attribue ainsi des positions spécifiques à l’expéditeur, au destinataire et aux troisièmes parties qui pourraient intercepter le message.
Lorsque l’on fait la queue à n’importe quel guichet public, on peut être si pressé de passer que l’on peut s’approcher trop près de la personne précédente. Pour prévenir cette intrusion territoriale, dans cette pharmacie, une inscription spécifique rappelle aux clients combien la confidentialité est importante. Un espace doit être maintenu entre la personne au guichet, qui explique son cas, et les autres dans la queue. De cette manière, les informations personnelles et médicales sont censées ne circuler que dans l’interaction confinée avec le pharmacien. Toute personne ayant fait l’expérience de cette situation sait que l’on entend généralement ce qui est dit. Mais les territoires du moi, soulignés par Goffman, sont enrichis par cette technologie d’écriture. Non seulement celle-ci marque la fin de la queue, mais elle équipe littéralement le dos de chaque personne pendant l’interaction au guichet, si bien que piétiner l’inscription revient à manquer de respect au caractère sacré de sa face.