Entre deux eaux
Pendant le printemps 2020, comme d’autres ont tenu un journal ou alimenté la discussion sur les médias sociaux, elle a décidé d’écrire sur les murs. N’ayant plus qu’un accès virtuel ou dérogatoire à l’espace public, elle a fait de « ses murs », les carreaux blancs de sa salle de bain, un support d’inscription. C’est à la fois l’appel du stylo de chimie de sa fille, celui qu’elle utilise pour marquer des niveaux sur les béchers et le plaisir d’avoir un moment à elle pour écrire, explique-t-elle. Peut-être qu’elle inventait par là un type d’écrits, fragilement exposés pour un futur incertain (« l’après-pandémie »), englués dans un présent trouble, domestique et angoissé (« le confinement »). Toute la famille a choisi avec elle un pan et recopié, jour après jour, des poèmes, bons mots ou citations célèbres ; de sorte que la salle d’eau est devenue un espace d’écriture collaborative et de lecture.
Passant de l’écran à la faïence et de l’écriture imprimée à l’écriture manuscrite, elle a copié les poèmes d’un auteur dont elle recevait, à la suite de sa participation à une chaine de mails, d’intrigants vers ; un poème par jour et par carreau pendant ces six semaines d’éternité. Elle aimait bien ces petits textes, en français ou anglais, qui arrivaient dans sa boîte de réception. Comme les requêtes Google des vers et du nom du poète ne lui offraient aucun résultat, elle a pensé qu’il serait souhaitable de le faire connaître — et pas sur internet qu’il avait choisi d’éviter. Alors, elle exposait, à l’attention de sa famille maintenant et tous ceux qui reviendraient chez elle « après », ce poète qui a rythmé ce printemps si particulier, faisant exister pour elle une idée joyeuse et conviviale de l’avenir, et pour le regardeur désespéré à la veille d’un second confinement une trace de l’ingéniosité scripturale déployée pour s’accommoder de nos liens amoindris et s’accorder de menus plaisirs.