La fêlure

Le Havre, octobre 2020.

L’hôtel nous avait chaleureusement été recommandé. Pas pour la tranquillité (les bouchons d’oreille font partie du kit de bienvenue), mais pour l’expérience du centre-ville reconstruit par Auguste Perret, classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO, avec vue sur Le Volcan, éclatant centre culturel conçu par Oscar Niemeyer. Passer la porte de l’hôtel, c’est voyager dans une utopie localisée et atterrir dans les interstices d’un rêve de modernisation des sociétés d’après-guerre que nous avons désormais largement archaïsé : industries lourdes, béton armé, croissance, commerce maritime, consommation des ménages et espoirs d’un monde meilleur.
Redonner un lieu à cette fiction de modernité, plus de soixante-dix ans après, suppose de ne rien laisser au hasard. Tout a donc soigneusement été chiné, bricolé, raccommodé pour restituer l’épaisseur du mythe, jusqu’au nom des chambres, dont cette magnifique « Modernité » contenant sa propre fêlure, fine démolition de l’intérieur de la surface. « — Soyez les bienvenues dans l’élégante “forme collection”, la mise en valeur économique du passé et de ses effets, l’enrichissement des choses et des identités décortiqué par Luc Boltanski et Arnaud Esquerre », semble souffler notre hôtesse lorsqu’elle nous tend les clés de la chambre.