La mort de l’industrie musicale, épisode 2
Paris, janvier 2012.
Qu’est-ce que la musique ? Dans quoi, sur quoi tient-elle ? Quel genre de produit est-elle ? Comment peut-on « l’acheter », la « voler » ? Quand on s’intéresse aux inscriptions et à leurs matières, ce sont des questions particulièrement complexes et fascinantes. Surtout depuis que les graveurs de CD sont entrés dans nos maisons, puis Napster, juste après, et ces fichiers MP3 qui pouvaient facilement passer d’un disque dur à l’autre. Puis les iPods. Et Deezer et Spotify. Des formats et des inscripteurs.
Une chose est sûre : durant toutes ces années, les formes d’instanciation de la musique ont proliféré. Depuis la coupure entre les spectacles vivants et leur enregistrement, la musique est devenue de plus en plus multiple. En tout cas pour ceux qui l’écoutent. Pour les gens de l’industrie musicale, les choses semblent un peu plus compliquées. Ou un peu plus simples. On pourrait dire qu’à leurs yeux chaque instanciation devrait être payée, simplement parce qu’il s’agit toujours à la fois exactement de la même musique et de produits complètement différents. Une chanson à la radio, un fichier MP3 128k sur un iPod, ce fichier sur vos mauvaises enceintes d’ordinateur, un titre sur Spotify sur ces mêmes enceintes, une chanson sur un CD, une chanson sur un vinyle : à chaque fois la même chanson, à chaque fois le même bien. En un sens, ils refusent la multiplicité, ou ne savent pas comment l’accepter, comment lui faire confiance. Ils n’arrivent pas à imaginer par exemple, que l’on puisse écouter de la musique téléchargée, ou des chansons sur Bandcamp autant de fois qu’on le veut, que l’on puisse en fait découvrir des tonnes d’artistes et d’albums grâce à ça, et que l’on puisse ensuite acheter finalement d’autres instanciations de ces chansons.
Certains ont toutefois trouvé un moyen assez élégant pour faire avec elle. Une solution qui admet que deux instanciations d’une chanson sont à la fois suffisamment identiques et suffisamment différentes pour cohabiter. Aujourd’hui, lorsque vous achetez un disque vinyle, vous achetez aussi généralement une copie numérique de l’album. Cela veut dire que vous pouvez à la fois apprécier le magnifique son analogique des chansons sur votre belle platine, votre amplificateur et vos enceintes, et en jouer une autre version dans votre casque au cours d’un voyage, sur d’autres enceintes au bureau, ou même sur un ordinateur dans une autre pièce de la maison. Le même disque, deux versions. Un produit, de multiples usages.
La cerise sur le gâteau, c’est que tout cela s’opère grâce à de nouvelles inscriptions. Des coupons, que l’on trouve dans la pochette du disque comme un jouet dans une boîte de céréales, avec l’adresse d’un site web et un code. Des petits papiers que l’on peut collectionner, exactement comme on a collectionné les flyers de concert ou de soirée il y a quelques années de cela.