Le pouvoir
– Clamart, Février 2009 –
Parmi les grands débats qui secouent aussi bien les journalistes que les personnes ordinaires qui discutent tous les jours dans le bus pour faire passer le temps, celui qui a tourné autour de la question du pouvoir d’achat a été particulièrement passionnant. En gros il s’est agi de savoir si oui ou non notre capacité à consommer avait baissé. Dans la foule des voix qui se sont levées, il y a bien sûr eu celle de l’autorité qui produit les statistiques publiques. Celle-ci était formelle : le pouvoir d’achat n’avait pas baissé tant que ça. Il avait même légèrement augmenté. Et tous ceux qui criaient le contraire se trompaient : ils étaient victimes d’une « impression ». Alors oui, bien sûr, on peut toujours lever des doutes cyniques sur l’énonciateur véritable de cette vérité. Était-ce l’INSEE ou les hommes en noir qui se cachent sur nos toits et contrôlent tout ?
Difficile de trancher, surtout si l’on se rappelle que la même institution est entrée en grève peu de temps après à propos d’un chiffre qu’elle contestait précisément aux gens du pouvoir : celui du chômage. Sans doute le problème mérite-t-il bien plus que des cris d’orfraie. La question qui se pose est en fait assez fondamentale : comment définir cette chose protéiforme, presque fluide, qu’est le pouvoir d’achat ? Un relevé moyen des prix et des salaires suffit-il ? Et si l’on a de nouvelles choses à acheter, de nouveaux biens « de première nécessité », comment les faire entrer dans la balance ? Et si l’on fait plus d’enfants ?
La réponse n’est bien entendu pas univoque et certainement pas non plus universelle. Mais si l’on cherche bien, on peut en trouver traces dans de petites initiatives, le résultat rendu public de centres de calcul comme chez M. Callon et F. Muniesa, mais très modestes. Et que produisent ces centres ? Quelle est la forme de cette publicité ? Des objets graphiques — chiffres, mots, formes, couleurs — qui montrent qu’ici, là, tout de suite, notre pouvoir d’achat se porte mieux.
Outre les batailles et les collusions entre centre de calculs politiques, étatiques et commerciaux, les super-marchés sont aussi le théâtre d’une purification invisible des inscriptions: les professionnels de la vente investissent beaucoup en écritures, et espèrent que les clients ne feront que lire. Les clients y sont d’ailleurs cantonnés, à moins de se doter d’outils… mais ces outils tels que la liste de courses sont à la fois courants et très frustres, surtout comparés aux belles inscriptions savamment travaillées telles que les étiquettes que vous présentez. Que l’on songe qu’aujourd’hui, époque des dispositifs « mobiles » tels que les téléphones portables, personne n’a songé à « équiper » en situation les acheteurs d’aides à la décision qui seraient indépendantes des vendeurs. Craint-on qu’ils deviennent soudain « réflexifs », puisque équipés des outils adéquats?