Passer sous la toise
La Rochelle, juillet 2014.
À peine entrés dans nos vies, ils n’arrêtent pas de changer, de nous faire rire, de nous étonner. Ils nous mettent très régulièrement à l’épreuve, nous agacent momentanément, mais surtout ils nous surprennent et, bien entendu, grandissent de jour en jour. Alors pour garder des traces de leurs avancées, pour comparer ensemble, discuter et prendre collectivement conscience de la différence de taille d’une fois à l’autre, on les mesure régulièrement. L’opération passe souvent par l’inscription du prénom, du nombre de centimètres et de la date sur un même mur. C’est l’occasion de circuler dans le temps : dans le passé, en réalisant combien la croissance a été fulgurante, mais aussi dans le futur, en anticipant le nombre de centimètres potentiellement atteints dans deux ou trois mois. C’est aussi le moment où tous les membres de la famille sont passés en revue, celui où la hiérarchie des tailles est parfois remise en jeu, débattue, et les positions quelque peu redistribuées.
Mais ne nous méprenons pas. Ce que l’on entend précisément par “famille” est variable d’un lieu d’habitation à l’autre. Si la mesure concerne généralement les enfants, et parfois les parents pour élargir l’éventail de la comparaison, il arrive aussi que les animaux domestiques soient enrôlés dans l’exercice. C’est le cas ici, où les deux chats sont régulièrement soumis au même régime que les autres : se tenir droit, s’étirer au maximum bien calés au mur, sans toutefois se mettre sur la pointe des pattes pour tricher, durant l’opération. La mesure prend alors une signification bien particulière. En inscrivant le nom des chats, leur taille et la date, il ne s’agit pas uniquement d’enregistrer leur accroissement. Les éléments assemblés par chaque inscription joue à la fois sur la commensurabilité rendue possible par les nombres et sur le regroupement des descripteurs en un unique lieu. Cette projection sur un même plan dessine le périmètre commun à tous les membres de la famille. Refusant d’en tirer quelconque conséquence anthropomorphique ou anthropométrique, le scriptopolien demeure admiratif d’une telle opération.