ISSN : 2266-6060

Urgence

Clamart, 16 juin 2024.

Après la sidération, après la colère, comment décrire ce qu’il se passe ? Comment comprendre la politique en train de se faire ? Il y a mille réponses à cette question. Les plus sérieuses, sans doute, iront voir du côté des organisations collectives pour tenter de donner à comprendre ce qui s’est joué dans les regroupements de personnes, jusqu’à probablement tard dans les nuits, chaque jour depuis le dimanche 9 juin. Tracer minute par minute la prise de consistance des décisions, la forme des débats, l’équilibre mouvant des forces. Un milliardaire qui conseille un chef de parti de finaliser sa mue fasciste, un collectif qui s’accorde en quelques heures autour de deux mots tout droit sortis de l’histoire.
D’autres passeront par une défocalisation — l’abandon des sites d’observation habituels — et essaieront de glaner dans les espaces domestiques, autour des machines à café des entreprises de logistique, dans les cours d’école, les bureaux collectifs des commissariats de quartier, les signes d’un espoir grandissant, une victoire enfin, une vengeance, probablement.
D’autres encore se pencheront sur ces espaces en ligne qu’il est devenu normal d’appeler les « réseaux sociaux ». Combien de likes, quels hashtags ? Quelles dynamiques conversationnelles dans les groupes Facebook privés, les boucles Telegram ou Whatsapp ? Combien de fois le billet de ce youtubeur reconnu par une grande partie de la jeunesse a-t-il été reposté sur Instagram ?
Sans rien dénigrer de ces investigations essentielles, peut-être aussi pour calmer un peu le vertige de leurs répercussions, on ne peut s’empêcher, chez Scriptopolis, d’y ajouter un regard sur les aspects les plus concrets de ces journées pendant lesquelles l’histoire politique du pays se précipite. En particulier à l’heure où arrivent dans nos mains les tracts de la nouvelle campagne, sept jours à peine après l’annonce de la dissolution. Comment les typographies ont elles été choisies pour installer le paysage graphique d’un rassemblement de partis qu’on pensait jusqu’ici intenable ? Qui a participé aux discussions ? Comment se sont décidés les grands principes de mises en page ? Les couleurs elles-mêmes, dont certaines semblent aller de soi mais d’autres manquent, n’ont rien d’anodin. On sait à quel point dans des circonstances plus sereines ce genre de détails concentrent les débats, consument le temps. Comment tout cela, en plus de tout le reste, les noms, les termes du programme, les alliances officielles, a-t-il pu s’agencer en si peu de temps ? Sans parler de la chaîne de fabrication et de distribution de ces tracts, de l’imprimerie jusqu’à la livraison. Une fois les candidat·es identifié·es, dans quelles conditions les portraits ont-ils pu être photographiés, puis envoyés ? Comment les devis ont-ils circulé ? Qui a pu vérifier les premiers tirages ? Qui a réceptionné les lots ?
La mobilisation générale — dans ce que le terme a de plus ambivalent, de plus guerrier — se joue aussi là, dans l’urgente mise en mouvement d’un immense appareil d’écriture qui est politique à sa manière, et nourrit pour beaucoup une autre forme d’espoir. Mais qui, pour les premier·es concerné·es, doit sembler bien cher payé.



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