Visibilité

Toulouse, décembre 2011.

Nous l’avons déjà dit : les lieux publics sont des écologies graphiques. De nombreuses espèces luttent pour y occuper une place. Certaines se font tuer, d’autres ressuscitent encore et encore, tandis que d’autres, beaucoup plus rares, sont officiellement soutenues et prétendent à jouer un rôle dans le contrôle d’une partie du territoire. Dans ces dynamiques, les écologies graphiques mettent en jeu les relations plus générales entre le visible et l’invisible. Et cela n’est pas seulement une question d’objets scripturaux en tant que tels. Certains sont présents dans la ville en tant que porte-parole. Par exemple, il arrive que des signes soient déployés sur l’ensemble d’un quartier pour identifier cette partie de la ville, la distinguer des autres. Généralement, ce genre de signes est installé au nom d’une institution (la ville, une association…), qui marque ainsi l’environnement. Parfois, les choses sont un peu plus compliquées, et la publicité en offre un bon exemple. Tandis que les panneaux publicitaires sont faits pour apporter une forme de visibilité à une marque pendant sa campagne, ils peuvent aussi être considérés comme le représentant d’une autre institution : celle à qui ils appartiennent et qui les maintiennent.
C’est ce qu’a fait ce scripteur en prenant avantage d’une page curieusement blanche (qu’il a saisi comme un espace libre pour une nouvelle espèce graphique) et en adressant un grand « Je te vois » à Decaux, dont le nom apparaît en effet en petits caractères sur le cadre du panneau. En annonçant avec de grandes lettres qu’« il » pouvait voir Decaux, il a aussi donné à l’entreprise une toute nouvelle visibilité. Il a sans doute essayé de dénoncer son omniprésence et son rôle dans la quantité de publicité dans les villes, qui est de plus en plus stigmatisée comme de la pollution visuelle, en opérant un nouveau marquage de l’espace public, marquage considéré comme une pollution par d’autres. Peut-être essayait-il aussi de montrer à Decaux qu’avec quelques mots manuscrites sur une feuille de papier, il pouvait aussi surveiller son comportement, tout comme ses nouveaux panneaux électroniques, équipés de leur caméra, observent les citoyens qui les croisent.