Voir de ses propres yeux
L’expérience des ruines peut mener à une grande variété d’attitudes : de la profonde mélancolie des voyageurs du XIXe siècle, aux désirs d’exploration actualisés par le succès du ruin porn, en passant par la brusque confrontation à la finitude de l’expérience humaine ou encore la curiosité momentanée pour une architecture, une culture ou les rituels de temps plus ou moins anciens. On le sait, elle peut également s’avérer frustrante.
Le sanctuaire de Delphes, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, fait partie de ces espaces sur lesquels la présence reconnue de ruines draine des flux de financement, de nouvelles fouilles et d’initiatives de valorisation en tout genre. Avec eux viennent les touristes, pèlerins modernes, parcourant les sites pour voir de leurs propres yeux les traces d’une civilisation ancienne. Sur les pas des dévots d’hier, ils se désespèrent pourtant souvent que l’intelligibilité des lieux, derrière les amas de pierres, ne soit pas plus aisée. À rebours de reconstitutions parfois fantasques, les panneaux écrits en braille sont aussi là pour leur suggérer un supplément de modestie : fouler de tels sites ne suffit pas, il leur faudra des efforts supplémentaires de décentrement et de lecture pour saisir, par exemple, la densité des croyances qui mouvaient les femmes et les hommes venant de tout le monde grec vers ce sanctuaire.