Ground Zero
New York, août 2010.
On ne verra jamais son dossier médical ; on l’imagine épais comme un dossier judiciaire ; avec ses feuilles de toutes les couleurs, les comptes-rendus de ces dizaines d’analyses sanguines qui ont massacré ses bras jour après jour, les enregistrements imprimés des battements de son cœur saisis chaque heure par l’infirmière, la courbes de température conservées d’abord dans un gros classeur posé au pied du lit. L’infinie prescription des médicaments…
On sort dans la rue, après s’être débarrassé de l’étiquette de couleur, signe de notre bon enregistrement par le portier de l’hôpital, laisser-passer d’un jour pour accéder à la chambre. On marche dans la rue ; il y a des travaux ; on construit un bâtiment. Les piétons sont invités à utiliser un passage protégé ; sur les palissades de bois sont tapissés plusieurs dizaines de pages ; soigneusement des documents imprimés ont été agrafés et mis sous un plastique transparent pour être protégés de la pluie ; on pense d’abord à une manifestation : une pétition, des protestations… ou bien on songe à un artiste soucieux de faire lire sa prose aux piétons ? C’est en réalité un mur complet de permis délivrés par les services de la ville : le dossier du permis de construire déplié tout entier ; un dossier non pas pour soi mais pour les autres. Des écrits aussi illisibles pour le néophyte que le dossier médical mais qui ont vocation à être exhibés. On n’agit pas dans l’espace social sans montrer par écrit qu’on en a le droit.
Cette galerie de signatures des différents services techniques municipaux orne le mur ; on les regarde, on songe aux écrits qui, il y a peu, ornaient le même endroit, laissés là par des anonymes après les attentats du 11 septembre 2001. La ville est un infini palimpseste où se succèdent sans interruption des strates d’écrits qui compose le Dossier de notre présent. Avec ses blessures et ses espoirs.