ISSN : 2266-6060

Intime public

Par notre invitée : Victoria Brun

Paris, novembre 2024

En marchant sur le quai de la station Champs-Élysées Clémenceau sur la ligne 1, je tombe sur une pancarte abandonnée de la manifestation organisée par le collectif Nous Toutes ce même jour contre les violences de genre. Elle n’est pas posée à plat ou jetée à la poubelle, mais consciencieusement disposée debout, dans une niche décorée avec des photographies du Grand Palais se trouvant juste à la surface.
Je la rencontre alors que vient de se terminer l’instruction à la barre du procès dit des « viols de Mazan », et j’y vois différentes questions qu’ont agité ces 49 jours d’audience. Elle résonne d’abord avec les témoignages des amies, des mères, des sœurs et des conjointes de dizaines d’hommes qui ont répété qu’ils étaient des amis généreux, des pères de famille présents, des frères dévoués, des fils reconnaissants, des maris aimants. Alors que les statistiques criminelles sont formelles, on a toujours du mal à accepter que nos violeurs sont précisément les hommes qui nous sont le plus proches, ceux qu’on fréquentait souvent et qu’on estimait parfois. Adossée à la photo d’un jeune garçon, elle interroge ensuite l’importance de la dimension éducative dans la reproduction de la culture du viol. Le caractère systématique des violences sexuelles induit-il une reproduction mécanique et immuable ? Et puis, enfin, elle fait écho à une controverse nominaliste au cœur du procès : est-il approprié de transformer le nom du crime « viol » en attribut de personne « violeur » ? Peut-on commettre un viol sans être un violeur ?
De la même manière que les mobilisations féministes s’efforcent à politiser la sphère intime, cette pancarte a été posée là, bien loin du tracé que suivait le cortège de la manif, dans un recoin du quai, à la lisière de l’espace public. Elle se prête seulement aux regards attentifs, dans une alcove qui rappelle les chambres de parade dans lesquelles on protégeait le lit des regards, ou bien les salons des Précieuses où l’on se faisait des confidences.



Laisser un commentaire