Inversion
En ligne, septembre 2021.
C’est un grand classique : il suffit d’un grain de sable dans la machine, une panne, parfois un simple incident, pour que les habitantes et habitants des pays riches se mettent à douter du substrat technologique qui soutient leur vie quotidienne. C’est ce que le chercheur Geof Bowker appelle l’inversion infrastructurelle. Un geste qui consiste à prêter attention à ce qui reste habituellement à l’arrière-plan. La pandémie de COVID-19 est un temps qui multiplie les situations qui favorisent ce décentrement de l’attention, du système hospitalier, dont nous savions déjà qu’il était mal en point, jusqu’aux transports publics à la proximité devenue inquiétante.
Au cœur de ces bouleversements, les réseaux de communication ont tenu une place cruciale, évidemment. Et s’ils ont bien tenu à l’échelle de l’ensemble du pays malgré la montée en puissance fulgurante des usages et leur reconfiguration géographique, nous savons aussi que la situation a révélé des disparités très importantes. Si certains ont pu basculer leur vie professionnelle en ligne en un rien de temps, d’autres n’ont pas cessé de s’inquiéter au fil des semaines de l’état de leurs machines, de leur disponibilité pour toute la famille, ou de la qualité de leur réseau.
En septembre, la rentrée universitaire a vu s’officialiser ces inquiétudes. Ce formulaire à remplir en ligne est un formidable exemple d’inversion, qui ne liste pas simplement les composants des infrastructures domestiques de chaque étudiant·e, mais invite à en évaluer personnellement les qualités, jusqu’à y ajouter un indice sur les aptitudes de chacun·e à échanger avec l’équipe enseignante à distance, donc par écrit. L’attention est remarquable, et montre qu’il est possible de mettre en place des services en ligne qui ne cachent pas sous le tapis la vaste question des moyens à disposition des uns et des autres.
En le découvrant, on ne peut s’empêcher de penser aux tendances inquiétantes qui voient depuis quelques années la relation administrative basculer en ligne presque comme si de rien n’était. On imagine aussi la tournure que prendrait de telles interrogations si elles étaient adressées au personnel de l’université elle-même : avez-vous les moyens nécessaires pour accueillir les étudiant·es en temps normal ? Jugez-vous que vous êtes en nombre suffisant ? Vos salles sont-elles chauffées ?
On pense enfin à d’autres postulats qui sont faits, qu’on le veuille ou non, sur les conditions matérielles de la vie des étudiant·es, et l’on imagine d’autres questions encore, qui auraient pu elles aussi devenir saillantes à l’occasion de la crise sanitaire que nous traversons. Êtes-vous logé·e convenablement ? Mangez-vous à votre faim tous les jours ?