La mesure de la virilité

Koutaïssi, septembre 2019.

Les trottoirs du centre-ville sont tous pourvus de jeux d’arcade plus ou moins décolorés auxquels nous ne prêtons d’abord que peu d’attention. Il nous semblait que cela faisait longtemps que Space Invaders s’était évadé de ces imposantes machines et proliférait sur les murs des villes et les écrans de téléphone. Pourtant, à la tombée du jour, lorsque nous voyons défiler devant les bornes de jeunes hommes, seuls en tenue de sport ou en bande, et que nous comprenons que toutes ces machines ne proposent qu’un seul et même jeu, nous devinons qu’il s’y joue quelque chose de primordial pour Koutaïssi, la deuxième ville de Géorgie.
Lorsque le joueur insère une pièce dans le monnayeur, le système mécanique déploie un bras articulé auquel est attaché un ballon de frappe, pour pied ou poing, selon l’option sélectionnée. Le joueur frappe le ballon qui se replie, laissant apparaître un score (SKOR). Le score s’affiche au-dessus d’un record (REKOR) lui permettant de se situer par rapport au participant le plus puissant. En plus de cette mesure générant des microcompétitions urbaines, à gauche, l’échelle blanche objective la force du candidat et le renvoie aux vignettes qui s’éclairent à droite. À 400, il est une femme blanche ou une footballeuse et à mesure qu’il s’approche de 3 000, les corps s’épaississent et les peaux passent du mat clair au marron foncé. On aurait pu penser, mais non : ce divertissement enregistre et exhibe en continu une mesure locale de la virilité, incluant tous les clichés que suppose un tel dispositif.