La mouche et le papillon
Etats-Unis, octobre 2010.
Dans les années 1960, un sociologue américain, révérend de son état, inspiré par les travaux d’Erving Goffman, entreprit de mener une ethnographie des pissotières d’une petite ville des États-Unis ; la loi interdisait alors les relations homosexuelles, aussi, c’est dans ces endroits publics que certains hommes souhaitant avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes se retrouvaient clandestinement. Pendant plusieurs mois, il observa ces pratiques, nota soigneusement les faits et gestes des acteurs, décrivant avec précision les interactions : regards, gestes, déplacements. Dans cette enquête, il n’y avait pas d’écrits tant la peur de laisser noir sur blanc la preuve de l’infraction à la loi était grande, tant le risque d’infamie était fort.
Cinquante ans plus tard, dans les toilettes homme d’un hôtel de la côte Est, en ouvrant ma braguette, je découvre attiré par une mouche dans l’urinoir un petit morceau de papier coincé contre le bouton d’évacuation. Dans les cabines fermées des toilettes, on trouve parfois un mégot, une seringue, quelques fois un produit illicite, moins souvent un revolver (sauf au cinéma) et toujours des graffitis à caractère sexuel ; dans l’urinoir ouvert (celui de Duchamp), il n’y a guère que les chewing gum et quelques poils. Point d’écrit, croyais-je du moins avant la découverte de cet énigmatique papillon. De quel message était-il porteur ? D’un numéro de téléphone, d’un email ou bien n’était-il là que pour caler le bouton et permettre tout simplement aux wc de fonctionner ? Écrit à tout faire.