Laisser une trace
Lancaster, avril 2009.
On t’a progressivement convaincu que l’écriture – la vraie, la seule, celle de l’écrivain – est hantée par une angoisse : celle de la page blanche. Tu as appris que ce support inerte est entièrement dévoué, docile, en attente des manifestations scripturales les plus vives. Tu as aussi compris au fil de tes expériences qu’il peut parfois résister. En renvoyant une image uniforme, son inertie en vient à te faire douter, comme tous ceux qui essayent de coucher leurs intentions et leurs émotions sur le papier. Dans un monde peuplé d’écrivains en quête de reconnaissance, tu sais que le manque d’inspiration et l’absence d’idées originales sont des symptômes patents. Les supports d’inscription sont nécessairement voués à se remplir de mots.
Au fil de tes déambulations, le rapport que tu entretiens à l’écriture a changé. Ce n’est plus seulement une technique fonctionnelle, c’est aussi un geste sur lequel tu t’es mis, avec des compagnons de route, à produire des enquêtes et des analyses. Les instruments que tu utilises ne sont pas les mêmes non plus. Les cartouches de ton stylo plume et son inséparable effaceur/réinscripteur ont fini par céder la place à un ordinateur. Et puis tu t’es mis à parler en public en montrant des mots qui viennent se projeter sur un écran. Dans l’univers professionnel où tu évolues désormais, la réputation s’acquiert aussi à coups d’arguments innovants inscrits sur diverses surfaces : il te faut écrire des articles, des livres, des conférences. Mais tu sais que pour faire passer tes idées, pour qu’elles puissent s’inscrire durablement dans les esprits sceptiques et encombrés de tes auditeurs, pour qu’elles s’animent et prennent consistance, il est important que l’écran de leur première projection reste blanc.