L’apocalypse
Les grands événements ont toujours été des occasions pour les échanges. Ils sont comme des objets à l’horizon, suffisamment grands pour que tout le monde ou presque les voie, en parle tout du moins. Ces derniers jours, l’Apocalypse qui approchait était un de ceux-là, plutôt énorme. Vendredi 21 décembre, tout le monde l’avait en tête. Les rues, les cafés, les bureaux résonnaient de conversations de fin du monde. Tout comme les cours d’école. Même si vos enfants ne regardaient pas le journal télévisé, ils en avaient entendu parler, en ont discuté ce jour-là, y ont joué, ont blagué à son propos. En ce dernier jour d’école avant les vacances de Noël, c’était un parfait sujet d’excitation.
Pour certains, l’Apocalypse a aussi constitué un appui pour l’expérimentation. Depuis quelques semaines maintenant, cette jeune fille de dix ans avait commencé à échanger des e-mails avec quelques-unes de ses amies, mais ça n’avait pas vraiment fonctionné. L’idée était là, mais les messages semblaient peu satisfaisants, et ils étaient plutôt rares. Jusqu’à ce jour de décembre, durant lequel nous étions tous censés mourir. Un peu après 21 heures, elle a demandé la permission d’utiliser la tablette familiale et commencé à rédiger un message à trois de ses copines en écrivant ces mots : « je ne suis pas morte ! » Et ça a pris, au moins pour l’une d’entre elles. Après sa réponse rapide, les messages ont continué et n’ont pas cessé depuis. Dix jours après, un autre événement important apportait une nouvelle occasion d’écriture, mais la conversation ne semblait même pas en avoir besoin. Le flux de discussion électronique, et l’état de connexion quasi permanente qu’il tisse, était ouvert.
Son père n’avait plus qu’une dernière chose à faire : supprimer le compte mail de la jeune fille de son propre ordinateur et ainsi, arrêter de la prévenir à chaque fois qu’elle recevait un nouveau message. Plus qu’un thème de plaisanterie et un appui pour la connexion, l’Apocalypse avait apporté un nouvel espace d’autonomie dans la maison.