Le corps – épisode 1 : les avant-bras
Paris, avril 2011.
Au temps de l’anthropologie criminelle et de la quête infinie des singularités physiques, les médecins commençaient par scruter attentivement sur le corps des mauvais sujets leurs avant-bras ; ils y voyaient le siège des écritures, leur creuset même. Artisans, marins ou soldats ouvraient en effet leur journal personnel par une entrée sur l’avant-bras droit, celui qu’on aperçoit à peine les beaux jours venus, lorsqu’on retrousse ses manches, pour prendre la pioche, celui aussi qui pointe les soirs de bal. Là, les savants de l’ordinaire déviance attrapaient quelques écrits : une date, celle de l’entrée au service militaire, un prénom, celui de la première, quelques mots, ceux d’un cri de rage… Ecrits d’un jour inscrits avec une aiguille artisanale à l’encre de chine, ces tatouages ne semblent pas si éloignés de ceux plus éphémères tracés au temps du plâtre, celui qui venait recouvrir nos avant-bras d’adolescents après une mauvaise chute. Ecriture défouloir que nous pratiquions sans retenue. Envie d’écrire le nom du groupe de musique le plus provoquant, le gros mot en lettres majuscules et à l’encre rouge… Qu’importait, le plâtre serait bientôt enlevé et on pouvait toujours mettre un sac en plastique au cas où… Viendrait le temps où les avants-bras seraient plus sensibles, où certains d’entre nous préféreraient les lames de rasoirs aux feutres pour se scarifier, inscrire et faire saigner. Mais il y aura toujours aussi ce simple plaisir d’écrire sur soi, de s’écrire, avec des stylos de toutes les couleurs dans un grand éclat d’éc-rire…