Les armoires
Zürich, mai 2014
Réunis autour de notre intérêt pour les activités de réparation et de maintenance, nous étions tous plutôt excités d’aller découvrir ces lieux. Visiter ce grand centre dédié à l’entretien des trains représentait l’un des événements du séjour. Parmi les bogies, les sièges démontés et les nouveaux modèles de toilettes à réparer, nous avons découvert un acteur omniprésent bien que largement invisible. Dès qu’il s’agissait de nous expliquer comment fonctionnaient les équipes, comment s’organisait le travail, nos hôtes évoquaient SAP. C’était vraisemblablement dans les entrailles de ce progiciel de gestion, mastodonte du domaine, que se jouait une grande partie du travail de maintenance, en tout cas pour ce que l’on voulait bien en dire à des visiteurs qui n’avaient pas le temps de rester plusieurs jours pour observer les nombreux ajustements et autres improvisations que l’on imagine essentiels au travail quotidien.
Lorsque nous sommes arrivés dans cet espace au cœur de l’immense atelier, délimité par des armoires métalliques, nous avons d’abord pensé qu’il s’agissait d’une sorte de vestiaire. Mais en ouvrant les portes des armoires, nous avons compris que nous nous trouvions devant l’une des émanations du dit SAP. Si l’on imagine facilement la part centralisatrice de ces logiciels imposants qui rassemblent dans des bases de données relationnelles et des tableaux de bord des informations de toutes sortes, on oublie peut-être qu’une bonne part des procédures normalisées, des standards et des règles qu’ils stockent doit aussi être suivie, ou tout au moins connue, jusque dans les ateliers. Les armoires de classeurs et de chemises offrent les points d’appui à cette circulation quotidienne des règles.
Comme l’expliquaient A. Sellen et R. Harper dans leur ouvrage The Myth of Paperless Office, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, l’informatique, si elle a pour projet de remplacer le papier, offre aussi d’innombrables occasions d’en produire plus encore. Et même si l’on évoque le projet d’équiper les agents de maintenance de tablettes qui permettraient une mise à jour automatique des normes et des procédures, nous sommes certains d’une chose : tout comme les hôpitaux ou les bureaux d’études, jamais les ateliers de maintenance ne seront véritablement sans papier.