Livres, objets rares

Yale University, octobre 2010.

Quand il annonça qu’il allait à Yale, tous ses collègues lui dirent combien il était chanceux, qu’il allait voir ce qu’il allait voir : enfin un lieu de savoir pour de vrai, avec son campus et sa bibliothèque. L’été indien avait filé sans laisser d’adresse lorsqu’il arriva enfin à New Haven, après quelques heures d’avion et une longue course de taxi. Ils déposèrent rapidement leur bagage dans l’hôtel dont le mur du grand hall était couvert de livres reliés. Ils filèrent vers la bibliothèque. Ils entrèrent d’abord, dans le grand cube de marbre translucide, ils se retrouvèrent face à une immense vitrine dans laquelle ils virent comme des poissons dans un aquarium des collections de livres anciens sur des rayonnages. Ils cherchèrent comment plonger dans le bocal mais après en voir fait plusieurs fois le tour comprirent que ces livres là étaient désormais à regarder de loin, de derrière la vitre.
Ils décidèrent d’aller vers l’autre Library, celle dont ils avaient vu sortir de jeunes étudiants. Ils entrèrent et immédiatement furent heureux de constater qu’ils avaient trouvé ce qu’ils cherchaient : le hall était meublé de grands fichiers comme ceux de nos bibliothèques européennes, et l’on devinait un peu plus loin de belles étagères de chêne. Mais quand ils entrèrent dans la salle de lecture, ils découvrir les étagères vides, terriblement vides étaient aussi les fichiers.
Ils avaient été abusés par les portillons de sécurité, ils avaient cru que le gardien les laissait entrer sans rien leur demander comme à la Bibliothèque du Centre Pompidou autrefois ; en réalité la bibliothèque avait déménagée ; elle n’était pas installée dans un autre bâtiment, elle était désormais en ligne comme ils le comprirent en lisant le petit panneau placé sur la table de travail, signalant que le wifi était disponible gratuitement dans la salle de lecture sur le site de l’université.